Le texte de cette page est un scénario que j'avais écrit en 2012 destiné à un court-métrage qui n'a jamais vu le jour.
J'avais cependant réalisé, la même année, un premier court métrage de 13 minutes intitulé "Grand Reporter" avec ma nièce Émilie comme actrice principale.
Ce petit film est visible en cliquant sur le bouton ci-contre.
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Voici donc, ci-dessous, telle que je l'avais écrite en 2012, et illustrée par des dessins de Nathalie (mon épouse), l'histoire de ...
Theodor Eisenberg
ou
le secret de l'homme du banc
Mathilde Edelman habite dans une petite ville du Sud-Ouest de la France.
Près de la maison où vit Mathilde, il y a un petit jardin public avec quelques bancs.
Depuis plusieurs mois, Mathilde aperçoit en se rendant à son travail un homme qui passe plusieurs heures par jour assis sur un des bancs, toujours le même, du petit jardin public.
L'homme ne semble pas très jeune et est toujours dissimulé dans un grand manteau et le visage caché sous un chapeau.
Il ne lève la tête que très rarement et semble remplir des notes dans un grand carnet, inlassablement.
Mathilde est intriguée et chaque fois qu'elle aperçoit "l'homme du banc" elle lui prend l'envie de l'aborder pour échanger quelques mots. Mais elle n'ose pas.
En réalité, Mathilde est curieuse et aimerait savoir pourquoi cet homme passe des heures à couvrir de textes un grand carnet. Est-il un écrivain?
Un jour, l'homme disparaît. Il ne réapparaît plus. Mathilde est soucieuse. Même si elle ne sait rien de cet homme, elle regrette de ne plus l’apercevoir.
Plusieurs semaines passent.
Puis l'homme réapparaît. Toujours assis sur le même banc et toujours à écrire sur un grand carnet.
Un matin, Mathilde s’aperçoit que le carnet a été oublié ou abandonné par "l'homme du banc".
Elle n'hésite pas une seconde, se saisit du document et rentre chez elle.
Dans une belle écriture régulière, Mathilde découvre que "l'homme du banc" décrit soigneusement et scientifiquement dans son carnet tout ce qu'il voit.
Elle lit ainsi la description faite des maisons, des personnes et de leurs modes de vie, des véhicules, des rues, des sons, des couleurs, de la nature que l'homme doit croiser dans sa vie quotidienne.
Mathilde en conclut qu'il s'agit certainement d'un manuscrit pour un futur livre dont le sujet serait davantage un essai contemplatif qu'un roman.
Un peu déçue par le contenu du carnet, Mathilde aura au moins l'occasion de rentrer en contact avec son auteur, si toutefois, il devait réapparaître, au moins pour récupérer ses écrits.
Elle arrête donc la lecture de ce carnet non sans lire les dernières lignes qui précèdent les quelques feuilles encore laissées blanches à la fin de l'ouvrage.
Mathilde lit: "Il est temps que je retourne chez moi.
Ma vie n'est pas ici. J'ai tant de choses à raconter."
Mathilde ne comprend pas bien le sens de cette phrase.
Est-ce un suicide annoncé? Et si le carnet n'avait pas été oublié ni abandonné, tel un message que l'on souhaite laisser derrière soi.
Elle reste pensive et essaie de comprendre ce que signifie les phrases qu'elle relit plusieurs fois: "Il est temps que je retourne chez moi. Ma vie n'est pas ici. J'ai tant de choses à raconter."
Mathilde aimerait bien comprendre ce qui se cache exactement derrière les mots: "Ma vie n'est pas ici. J'ai tant de choses à raconter."
(note pour le scénario: fondu vers un écran noir pour signifier que du temps s'écoule)
L'homme réapparaît. Toujours à la même place.
Toujours sur le même banc. Mathilde ose alors l'approcher.
Elle lui tend le carnet et le remet à l'homme.
• L'homme: "Merci, merci bien mademoiselle. En ne voyant pas où j'avais laissé mon carnet, je pensais alors qu'il était définitivement perdu.
Merci mademoiselle."
• Mathilde: "Je me suis permis de le lire.
Enfin ... je veux dire que peut-être aurais-je trouvé votre nom et une adresse ou un téléphone pour vous prévenir."
• L'homme: "J'habite depuis quelques mois dans un foyer, pas loin d'ici.
Je m'appelle Eisenberg, Theodor Eisenberg.
Et vous?
Je veux dire, et vous ... qui êtes-vous s'il vous plaît?"
• Mathilde: "J'habite tout près d'ici également. Une maison. Je passe tous les jours devant ce petit parc. Je travaille à la bibliothèque municipale. Enchanté. Mon nom est Mathilde Edelman."
• L'homme: "Edelman? Vous dites Edelman?
Mais c'est allemand, comme moi ...
Êtes-vous allemande?"
• Mathilde: "Mon grand-père a fui l'Allemagne dans les années 1940.
On y pourchassait les juifs.
Ma famille s'est installée et cachée ici dans le Sud de la France.
J'y suis née.
Je suis française."
Mathilde s'est assise sur le banc.
Mathilde et l'homme restent ainsi quelques instants sans rien dire.
Puis c'est l'homme qui reprend la conversation.
• L'homme: "Nous avons un point commun alors: nous sommes juifs."
• Mathilde: "Euh ... Oui ... Serez-vous là demain? Je dois aller me préparer afin de me rendre à mon travail."
• L'homme: "Je viendrai plus tôt alors comme cela, si vous le souhaitez, nous pourrons parler ensemble plus longuement."
• Mathilde: "Euh ... Oui ... Alors peut-être à demain.
Au revoir!"
Mathilde rentre chez elle en essayant de se rappeler le nom que l'homme lui a décliné: "Theodor Eisenberg, oui c'est cela, il m'a dit s'appeler Theodor Eisenberg."
Chez elle, Mathilde se jette sur son ordinateur et surfe sur l'Internet pour tenter de trouver des indices sur quelqu'un qui répondrait au nom de Theodor Eisenberg.
La recherche sera courte.
Il y a bien un Theodor Eisenberg qui fait l'objet d'une rubrique complète dans l'encyclopédie libre Wikipedia.
(note pour le scénario: les propos écrits ci-dessous en
vert seront présentés sous la forme d'un historique animé avec images et photographies)
Mathilde lit sur son écran:
Theodor Eisenberg, né à Coblence (Allemagne) le 6 janvier 1890 et mort le 13 octobre 1982 (92 ans),
est un scientifique allemand qui fit des recherches très poussées dans le domaine de l'espace-temps.
Mathilde s'interroge: "Il s'agit bien-sûr d'un homonyme ... ce Theodor-là est mort depuis 30 ans!
A moins qu'il s'agisse de son père ... peut-être ..."
Mathilde poursuit la lecture sur son écran:
Theodor Eisenberg est également connu pour son incroyable évasion en 1942 du centre
de détention de Karlsfeld (Bavière) où des savants juifs étaient internés et devaient faire
des recherches forcées pour le compte du Troisième Reich. A la barbe des ses geôliers
nazis, Theodor Eisenberg réussit à mettre secrètement au point une machine qui était le
fruit de ses recherches dans les domaines de l'influence de la masse sur l'espace-temps.
Dans un livre (EVASION DANS LE TEMPS) qu'il écrivit en 1946, il expliqua que cette
machine (qui fut malheureusement complètement détruite pendant la guerre) lui avait
permis de se propulser dans le temps et de s'évader ainsi vers 2008 pendant une période
de quatre années avant de revenir en 2012 vers 1946.
Mathilde est captivée par ce qu'elle vient de lire et continue la lecture sur son écran:
A la parution de son livre, Theodor Eisenberg ne fut pas pris au sérieux et on considéra
que son état mental avait été atteint par une évasion compliquée dont on ignorait d'ailleurs
les détails. Son livre décrivait avec énormément de soin le monde de la période 2008-2012
qu'il prétendait avoir "visité". Aussi, au fur et à mesure des années qui passaient, il fallut
bien se rendre compte que les descriptions faites par l'auteur correspondaient tout à fait
avec l'évolution du monde. Dans les années 1960, Theodor Eisenberg retrouva la notoriété
mais devenu sexagénaire il ne put entreprendre de nouvelles recherches dans le domaine
dont il fut un expert à nouveau reconnu. Il écrivit cependant plusieurs ouvrages
scientifiques dont le fameux et très connu TRAITÉ SUR L'ESPACE-TEMPS POUR LA BONNE
MARCHE DES CIVILISATIONS. Il est mort à 92 ans, le 13 octobre 1982.
Mathilde prend soin de bien relire les propos dédiés à Theodor Eisenberg dans l'encyclopédie Wikipedia et se précipite dehors pour aller retrouver l'homme au banc.
Le banc est vide.
Mathilde a hâte d'être au lendemain et d'honorer le rendez-vous avec l'homme au banc.
Sera-t-il là?
Viendra-t-il?
Pendant la nuit, Mathilde dort mal.
Dans sa tête, sans cesse elle prend soin de bien comprendre ce qui lui est arrivé en rencontrant l'homme du banc: Theodor Eisenberg.
Le lendemain, comme prévu, elle se précipite vers le banc du jardin public et ... soulagée elle voit la silhouette de l'homme, sans le fameux carnet.
Elle se précipite vers lui et aussitôt entre en conversation sans même reprendre son souffle:
• Mathilde: "Bonjour monsieur Eisenberg. Dites-moi, je veux savoir, êtes-vous bien né à Coblence?"
• L'homme (un peu intrigué): "Oui! ... Mais dites-moi ... comment savez-vous cela? Vous vous êtes informé? C'est bien cela, n'est-ce-pas?"
• Mathilde: "Ah, comme je suis contente! C'est bien vous et vous êtes né en 1890?"
• L'homme marque un temps d'arrêt. Son visage reste figé et sérieux. Puis il dit: "Voyons!!! Comment pouvez-vous imaginer que la personne qui s'adresse à vous a 132 ans?"
• Mathilde répond avec un début de sourire complice: "Je sais tout! Oui ... je sais tout! Et votre carnet est un livre qui s'appelle EVASION DANS LE TEMPS."
• L'homme: "Mon carnet n'est pas encore un livre! Et si vous savez tout, alors je dois vous dire que je n'ai pas encore donné de titre à ce qui pourrait effectivement devenir un livre."
• Mathilde: "Mais moi je sais que ce livre va s'appeler ..."
• L'homme interrompt Mathilde et lui mettant la main devant sa bouche: "Taisez-vous! Par pitié, taisez-vous!"
• Mathilde gênée: "Je suis désolée, mais je ne comprends pas. Pourquoi me tairais-je?"
• L'homme saisit délicatement des ses deux mains celle de Mathilde et lui dit:
"Mathilde, c'est bien votre prénom, n'est-ce-pas?
Mathilde donc, si vous avez compris, alors il ne faut surtout pas me raconter ce que vous savez peut-être de moi et que je n'ai pas encore vécu.
Comprenez-vous?
Je pense que si je connaissais mon destin avant de l'avoir vécu, cela pourrait me détruire.
Car l'espace-temps ouvre des interrogations non encore élucidées à ce jour."
• Mathilde: "Theodor, quand repartirez-vous?"
• L'homme: "Il y a maintenant quatre années que je me suis évadé d'un endroit où mon sort aurait été épouvantable comme pour tous les juifs de ma génération.
Je ne sais pas où en sont les choses, là-bas, après quatre ans. Vous, vous savez, mais de grâce ne dites rien."
Mathilde regarde l'homme avec émotion et ne dit pas un mot.
• L'homme continue: "Voilà pourquoi je viens si souvent ici m'isoler sur ce banc.
C'est surtout pour m'isoler des événements que je ne dois pas connaître.
Car, une fois encore Mathilde, si je connaissais mon destin avant de l'avoir vécu, cela pourrait me détruire.
Je ne me suis pas évadé pour mourir. Je me suis évadé pour retrouver ma liberté et pour continuer à vivre."
Mathilde a du mal à contenir son émotion.
• L'homme continue: "Votre époque est certainement extraordinaire et les progrès en termes de communications vont certainement au-delà de ce que je peux imaginer.
Je sais que vous possédez un réseau planétaire où peuvent circuler depuis chaque domicile textes et sons, photographies et films.
C'est certainement ainsi que vous savez non seulement qui je suis mais qui je vais devenir."
• Mathilde: "Theodor, quand partez-vous?"
• L'homme semble réfléchir avant de répondre: "Je peux vous amener à l'endroit où ma machine se trouve.
Vous agiterez votre mouchoir alors que m'éloignerai de vous, même si ce n'est pas exactement un train que je prendrai."
• Mathilde: "Je n'ai donc même pas le droit de vous dire si vous avez tort ou raison de partir bientôt?
Car je sais, moi, comment est la situation en 1946, date de votre retour."
• L'homme: "Ne dites rien Mathilde! A dix-neuf heures, tout à l'heure, je serai ici et si vous venez et que vous m'accompagnez à l'endroit où je dois me rendre pour mon retour,
alors je comprendrai que je suis parti au bon moment."
• Mathilde s'écrie immédiatement: "Je serai là!"
(note pour le scénario: long fondu vers un écran noir pour signifier que du temps s'écoule)
A dix-neuf heures, Mathilde se présente dans le petit jardin public et Theodor est là, debout, à côté du banc, son carnet sous le bras.
Mathilde et Theodor quittent les lieux et marchent ensemble vers une forêt qui se trouve à la sortie de la ville.
Tout en marchant, Mathilde glisse discrètement une médaille qui lui appartient dans la poche du manteau de Theodor.
A un endroit précis que Theodor semble bien connaître dans la forêt, on aperçoit dissimulé dans un grand buisson un parallélépipède en acier dont les côtés semblent monter ensemble par de gros rivets.
"C'est la machine!" dit Theodor.
Theodor écarte quelques branches pour libérer l'accès à une porte.
Theodor se tourne vers Mathilde et lui demande de s'écarter un peu car le moment du départ est imminent.
• Theodor: "Merci Mathilde de m'avoir accompagné.
Grâce à vous je sais que je peux revenir chez moi ... je veux dire à mon époque.
Je ne vous oublierai pas."
• Mathilde: "Partez vite, je n'ai pas prévu de mouchoir mais les larmes ne préviennent jamais, elles."
Theodor et Mathilde s'embrassent affectueusement.
Mathilde s'éloigne de la machine.
Theodor rentre dans la machine.
Mathilde aperçoit brièvement des éléments électriques à l'intérieur de la machine et lui revient à la mémoire des gravures des livres de Jules Verne.
Cette machine tient davantage de la technologie du Nautilus que celle de son téléphone portable, pensa-t-elle.
Un son strident et de plus en plus fort émane de la machine. Mathilde s'écarte davantage.
Comme pris dans un phénomène électromagnétique, le parallélépipède en acier est parcouru sur toute sa surface de petits arcs bleus et blancs.
Le son strident augmente davantage ainsi que la fréquence des arcs.
Puis la machine disparaît totalement.
Le calme revient aussitôt.
Les bruits naturels de la forêt se font à nouveau entendre
(note pour le scénario: long fondu vers un écran noir pour signifier que du temps s'écoule)
Assise derrière son bureau de la bibliothèque municipale, Mathilde classe des livres.
Un homme s'approche d'elle et lui demande si le TRAITÉ SUR L'ESPACE-TEMPS POUR LA BONNE MARCHE DES CIVILISATIONS de Theodor Eisenberg est disponible.
Mathilde répond positivement et ajoute fièrement qu'elle avait souhaité personnellement que les livres du même auteur soient tous disponibles dans les rayons proposés au public.
"Pourtant ce ne sont pas des livres grand public", répond l'homme.
"Vous avez raison, mais c'est un choix motivé pour des raisons ... disons ... personnelles" répond Mathilde ne pouvant échapper un éclat de rire.
"Après vos raisons personnelles, permettez-moi de vous remettre un objet personnel, Mademoiselle" répond l'homme en déposant une petite médaille sur la table.
Mathilde est troublée car elle reconnaît immédiatement la petite médaille qu'elle avait glissée dans la poche de Theodor.
Elle prend la médaille dans sa main.
"Qui vous a remis cette médaille?" demande Mathilde.
"Mon grand-père. Je m'appelle Sigmund Eisenberg. Je suis allemand et je fais des études de français à Toulouse."
"Mon grand-père m'a remis cette médaille deux ans avant sa mort.
C'était en 1980.
J'avais alors 17 ans.
Il savait que je voulais faire mes études en France.
Il m'a parlé de vous, Mathilde Edelman."
"Je suis heureuse de rencontrer un petit-enfant de Theodor, mais cette médaille appartient à votre famille maintenant" répond Mathilde.
"Alors je veux bien la reprendre et la conserver soigneusement" répond Sigmund tout en saisissant la main de Mathilde pour reprendre la médaille.
Les deux mains restent ensemble sans s'éloigner l'une de l'autre.
A travers les doigts mêlés de Mathilde et de Sigmund, on aperçoit la médaille.
Gilles Febvrel
(écriture: mai 2012)
(diffusion Internet: juin 2020)